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Avant-Propos

Nathalie Vienne-Guerrin et Christophe Hausermann
p. i-iv
Traduction(s) :
Foreword [en]

Texte intégral

1Les arts de la table sont des arts du spectacle. La table est un théâtre. Elle a ses acteurs, ses coulisses, ses décors, ses accessoires, ses règles, ses mises en scène, ses éclairages, ses musiques. En français, on parle aussi bien de « tréteaux » lorsqu’il s’agit de dresser une table que lorsqu’il s’agit de monter « sur les planches », ces dernières, « boards » renvoyant en anglais tout aussi bien à la scène qu’à la table. Le répertoire élisabéthain se nourrit abondamment de cette matière spectaculaire et festive. Qu’il s’agisse des pièces de Shakespeare ou de ses contemporains, Heywood, Kyd, Marlowe, Lyly, Greene, Peele, Chapman, Marston ou Dekker, ce théâtre regorge de séquences où la nourriture est mise en scène(s) et où la table devient lieu de création, de récréation et d’ostentation. De la cuisine funeste élaborée par Titus au festin par lequel Timon met littéralement « l’eau à la bouche » de ses convives, en passant par le mirage de banquet orchestré par Ariel, le corpus shakespearien présente les rituels et cérémonies alimentaires et culinaires dans tous leurs artifices, musicaux, visuels, théâtraux. Ce volume consacré à « Shakespeare et les arts de la table » invite à étudier non seulement la culture, les pratiques et discours alimentaires dans le monde élisabéthain, mais aussi à explorer les mises en scène et l’esthétique de la table, l’art de cuisiner et de servir, les recettes, objets et ustensiles qui donnent forme au cru et au cuit, au boire et au manger.

2« She makes hungry where most she satisfies » : Cléopâtre, décrite comme un morceau de choix (« a morsel for a monarch ») devient, par la métaphore alimentaire, une œuvre d’art, dont le sens et la saveur ne s’épuisent pas dans la consommation mais qui génère au contraire un plaisir infiniment renouvelé et donc un désir éternellement insatisfait. Les aliments doivent subir des métamorphoses pour devenir des mets dignes des princes (« dainties ») dont le sens va bien au-delà de la simple fonction nourricière ou d’une pure réponse à un instinct. Parler des arts de la table, c’est évoquer non pas tant la nourriture qui rassasie que celle qui réjouit les sens, régale le convive ou le laisse sur sa faim.

3Étudier Shakespeare et les arts de la table, c’est aussi explorer les règles de l’hospitalité et de l’étiquette ainsi que leurs transgressions. Lieu de convivialité et de festivité, la table peut être table de torture. Ce recueil interroge non seulement la matière alimentaire mais également les manières de table telles qu’elles sont enseignées à la Renaissance dans les nombreux manuels et traités consacrés aux règles de civilité et de bonne conduite et telles qu’elles sont représentées ou subverties dans les pièces. Comme l’a montré Michel Jeanneret, les banquets sont faits de mets mais ils sont également une affaire de mots ; ils réconcilient le ventre et la tête en mobilisant les deux fonctions essentielles de la bouche que sont le manger et le parler. Explorer les arts de la table dans le monde de Shakespeare, c’est s’intéresser aux arts et aux plaisirs de la langue, aux propos de table comme aux festins de mots.

Nathalie Vienne-Guerrin

*

4Les articles de Ken Albala et Gilly Lehmann ouvrent ce recueil par une mise en bouche. Ils démontrent l’existence d’un « style culinaire » à l’époque élisabéthaine au travers de recettes, d’ingrédients et de métaphores alimentaires. Suivent les articles de David B. Goldstein, de Johann Gregory et de Tobias Döring, qui analysent les pièces de Shakespeare au travers du prisme de la nourriture : alimentation, (in)digestion et éructation. Les articles de Natalia Brzozowska et Imke Pannen étudient la perversion des arts de la table au travers de banquets sanglants. Enfin, l’article de Joanne Vine s’interroge sur les rares mises en scène de repas dans les pièces écrites par Ben Jonson pour la troupe des Children of the Revels. Une incongruité pour un dramaturge aussi bon vivant.

Christophe Hausermann

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Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Vienne-Guerrin et Christophe Hausermann, « Avant-Propos »Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 29 | 2012, i-iv.

Référence électronique

Nathalie Vienne-Guerrin et Christophe Hausermann, « Avant-Propos »Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 29 | 2012, mis en ligne le 03 mars 2012, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/shakespeare/1690 ; DOI : https://doi.org/10.4000/shakespeare.1690

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Auteurs

Nathalie Vienne-Guerrin

Université de Montpellier III-Paul Valéry

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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